Lettre d’un looser à sa maman
Très chère maman,
C’est avec une certaine amertume que je vous écris cette lettre pour parler de l’année qui vient de s’écouler. Une année qui m’a profondément rendu froid, pour ne pas dire aigri.
J’ai la conviction que tu te portes bien ainsi que toute la famille, cousins, cousines et voisins.
Je viens de passer l’année la plus cauchemardesque, la plus chaotique et la plus mouvementée de ma vie. L’année de toutes les misères, je le jure sur ta tête. W’Allah !
L’année 2013 m’a fait vivre « Une saison en enfer » dans un décor de « Fleurs du mal ». On dirait que j’ai goûté les supplices de la tombe tout en ayant le souffle aux narines. Maman, si je reste toujours debout face à l’adversité c’est parce que je puise ma force dans l’amour que tu portes pour moi, et qui est naturellement réciproque.
Ari : Il ne faut pas trop rêver sinon on devient le jouet de la fatalité. Fin 2012, j’ai réussi avec succès mes examens au département de langue et de littérature française de l’université d’Alexandrie. Du coup, l’année suivante s’annonçait comme un tremplin pour une vie enfin meilleure. Elle allait m’ouvrir enfin toutes les portes menant à la chance, à la prospérité et au bonheur.
Mais finalement, tout ne s’est pas passé comme je l’espérais.
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas!

Demande d’inscription universitaire en France acceptée, j’ai nourri naïvement tous les espoirs du monde. « Enfin le sésame qui m’ouvrira les portes de la félicité » me suis-je dit. Malheureusement maman, le visa tant rêvé n’a pas été accordé à ton fils, et cela sans explication. Et quand j’ai insisté pour avoir un motif, ari « le refus de visa de long séjour n’est pas motivé » fin de la réplique de la part du consulat de France au Caire. Tu entends « le propos bateau » maman, pire qu’une pirouette. J’aurais préféré maman qu’ils me disent que c’est à cause de mon bide ou de mes oreilles qui ressemblent à une antenne parabolique ou de ma bouche charnue comme la vache de tonton. Tonnerre de tonnerre de Brest !!! Je m’excuse maman pour les expressions grossières, les émotions m’ont changé profondément, j’ai dit. D’ailleurs, je crains qu’à mon retour au bled, tu auras un autre Naoumane que celui que tu connaissais auparavant.
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas !
Si tu veux aller en France pour une bonne cause, pour acquérir un savoir, autrement dit, pour devenir utile à ton pays, on te tétanise, on te traumatise. Le consulat préfère que tu forges des mensonges de toutes pièces comme aller ragoter à longueur de nuit et de journée sur les réseaux sociaux avec des mères célibataires en mal d’affection maritale dans la solitude narcissique française. Pour qu’enfin ces femmes à qui tu fais croire hypocritement que leur corps plantureux est sexy, que leur regard évidé de pudeur est beau, viennent vous chercher pour vous faire accéder au paradis occidental. « Elles sont folles ! » tu te dis sûrement maman. Non, elles ne sont pas du tout folles maman. C’est juste qu’elles ont un ego surdimensionné. Je sais que tu ne sais pas ce que c’est un ego surdimensionné. Moi-même, je ne sais pas comment te l’expliquer. Pour caricaturer, je dirais que c’est comme un âne, à force de lui donner de l’importance, il finit par se prendre pour un cheval. « Wamo triya pundra hagupvu manani yodra tayifikiri am’ba yo farasi ». C’est vrai, c’est toi qui m’as appris cette maxime. Tu vois maman, je n’ai pas oublié tout ce que tu m’as appris. Donc, ces femmes à force de se faire draguer par de nombreux aspirants à l’émigration, elles finissent par croire qu’elles sont les rois du pétrole. Mais sache maman, que je ne suis pas de ceux-là, je ne suis ni un Don Juan ni un Casanova. Encore moins, de ceux que le désespoir pousse à emprunter la mer Méditerranée pour atteindre cette île de la honte dite Lampedusa. Maman, comme je sais que tu ne connais pas cette île, sache que c’est un autre cimetière marin, pareil à celui qui relie l’île d’Anjouan à celle du « 111e département français ». C’est étonnant que ceux-là mêmes qui nous ferment leurs frontières, débarquent éhontés chez nous quand le mal nous abat de plein fouet. Ils viennent avec leurs aides et leur plan d’ajustement structurel, PAM, FMI et autre ari pour nous faire croire qu’ils veulent nous sortir de l’impasse. Ben ! Comme il se dit ari «les Mecquois connaissent aussi bien la Mecque que les Hadj (Pèlerins). Donc « vaut mieux apprendre aux gens comment pêcher que leur donner « gratuitement » des poissons.» dit un proverbe chinois.

Ô mère ! Comme t’avais raison dans tout ce que tu me disais quotidiennement et affectivement : « Toma wuparé shaho bé shantru kashi fayi muntru ! Behu pvolwa kayina baraka! » Qui signifie : « Travaille afin que tu gagnes ton pain à la sueur de ton front. Et non attendre qu’on te serve. Car être servi n’est pas du tout une bonne chose. »
Malheureusement, je n’ai pas su suivre tes conseils. Me voici en train de vivoter !
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas !
Ô mère ! Si tu savais combien tu me manques ! Tout ce que j’ai retenu de tes nobles adages, c’est l’amour de la patrie. En parlant de patrie, sache qu’en secret je me suis toujours demandé si j’en ai vraiment une. Ici j’ai connu des gens qui sont vraiment attachés à leur patrie. Des vrais patriotes qui sont prêts à tout pour leur patrie. Je me demande même si chez nous là-bas on ne confond pas arrivisme et patriotisme.
Je suis vraiment navré maman de t’écrire une lettre fleuve ! Vu ton âge, je devrais être bref, mais comme j’ai tellement de choses à te révéler et que je n’ai aucun confident que toi. J’espère que le lecteur de cette lettre saura garder pour lui mes révélations. Sinon, je lui couperais sa langue à cette vipère (A ne pas lire s’il te plaît cette phrase à maman !). Ô maman, ô ma confidente, permets-moi de t’écrire pour te dessiner une fresque de ce que j’ai enduré tout au fil de cette année que je ne saurais pas maudire. Puisqu’au cours de laquelle une rencontre périlleuse et épineuse a vu le jour. Oui maman, la solitude m’a poussé dans les bras d’une autre, malgré la promesse que j’ai faite à cette promise qui est restée là-bas. J’avoue que des fois rester « solitaire et solidaire » comme Camus est insupportable, problématique. Comprends-moi maman, malgré les apparences, je n’ai rien d’un dévot malien au chevet d’un manuscrit séculaire dans un Tombouctou sous les obus de fanatiques qui n’ont de l’islam que le port de ses symboles et de sa gestuelle.

Alors que l’Egypte est au seuil d’une guerre civile … Maman quand je dis guerre civile, il faut bien entendre guerre civile. Il ne faut pas confondre avec cette guerre civile qui a eu lieu en 1999 opposant les gens de Mutsamudu et de Mirontsi. Ici on ne se bat pas avec de la salive et des cailloux comme là-bas. Ici, ils ont l’âme guerrière, le sang chaud. Et quand ils s’affrontent, les morts se comptent par milliers. Mais rassure-toi maman, je ne mets jamais mon nez dehors au moment des hostilités. Sauf quand j’ai rencontré celle dont je t’ai parlé. Moi, le gaillard, aussi looser que je sois, l’amour m’a précipité dans les ruines de ce pays en guerre. Il ne faut pas en vouloir à ton fils maman, l’amour rend aveugle, tu le sais très bien. Si tu doutes, un jour je te lirai « Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre » de Luis Sepulveda. Et si tu doutes encore, je te ferai visionner « Underground » d’Emir Kusturika. Bref, à vrai dire, je croyais avoir été amoureux, et aussi être aimé ou plutôt être semé ! Tendre que je suis … « Mille millions de mille sabords ! » Qu’est-ce je suis assez ingénu pour croire aux apparences ! Ari : « On ne badine pas avec l’amour ». Moi bête comme je suis j’ai badiné plutôt avec l’humour.
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas !
A cause de cette amourette, j’ai postulé à l’université Senghor pour faire un master en développement. Oui maman, petit morveux comme je suis, j’ai voulu péter plus haut que mon froc pour conquérir le trône du cœur de ma dulcinée. Autant d’ambition que d’enthousiasme. Je me suis donné à fond pour pouvoir enfin être parmi les 120 boursiers de la promotion 2013-2015. Et par la grâce d’Allah, j’ai passé les 3 épreuves avec succès. Mais comme la poisse me colle au dos, je fus listé parmi les non boursiers !! Quel fracas ! Encore une autre foudre qui m’est tombée dessus.
Quelques jours après la délibération des résultats, cette relation atteignit le crépuscule. Le trône du cœur de la dulcinée s’est révélé damné. Ari « kana shewo kana shema », qui n’a rien n’a rien.
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas !
Depuis lors, je suis resté sans vie ! Jusqu’au jour où une voix intérieure m’ouvrit les yeux et me montra la bonne voie à suivre. Celle de la confiance de soi, de ne pas s’attacher tout à coup à quiconque, de ne rien attendre de personne et de ne pas croire sur parole à tout ce qu’on vous dit.
Par ailleurs, j’ai pris mon courage à demain et je me suis inscrit à la faculté de pédagogie. Tu vois comme j’aime les études, maman ! Ma douce maman, comme tu vois je n’ai qu’un seul but, celui d’apporter mon grain de sable dans la construction de notre bel archipel.
Un autre événement maman, aussi retentissant de l’année 2013, qui m’a beaucoup touché. Cette année pleine de tourments a décidé de mettre fin à la vie d’une figure emblématique qu’humaniste. L’homme qui a pu transformer la haine en amour, la vengeance en réconciliation et la violence en paix. Et cela malgré toutes les oppressions et humiliations qu’il a subies. Et cette figure n’est autre que Tata Madiba, de son nom tribal, connu sous son nom officiel Nelson Mandela ! Maman, c’est toi qui m’as fait aimer cet homme, puisque chaque matin après la lecture du Coran, tu te mettais à fredonner la chanson Mandela de Salim Ali Amir. Je sais combien cet homme comptait pour toi, combien son combat avait de l’importance à tes yeux. Sans me l’être avoué, j’ai toujours su que le combat de cet homme te rappelait toujours celui du président Ali Soilihi.
Rassure-toi maman, que Madiba restera pour moi un modèle à suivre. Paix à son âme !
Du coup, j’ai versé quelques averses à cause de certains aléas !
In sha Allah, maman, je prie que le Nouvel An se montre beaucoup plus clément pour moi ainsi que pour mes semblables !
Ne t’inquiète pas maman, ton fils est loin d’être un looser. Ta bénédiction veille sur moi comme tout autre fils béni par sa maman !
Je pense fort à toi. Et je nourris toujours le projet de venir faire ton bonheur.
Salutations aux tontons et aux tantes !
Ton cher fils Naoumane
Commentaires