Une vie d’ado plein de rebonds et de rêves

11 octobre 2013

Une vie d’ado plein de rebonds et de rêves

Ari* quand on était mômes, on était plus que créatifs. On prenait l’écorce du bananier et les pailles des feuilles de cocotier  pour  fabriquer des voitures. De toutes petites voitures. Ensuite ,on traçait des routes imaginaires sur notre cour. On instaurait l’infrastructure. On les goudronnait. On bâtissait notre petit monde. Et on en devenait les maîtres. On voyait la vie en rose !

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Moi qui étais parmi les plus jeunes, j’étais si naïf. Le monde me paraissait tolérant, paisible, avec plein de prospérité et de mahaba (amour) entre les hommes. Cet univers fictif et harmonieux, ressemblait  à une vraie ville comorienne. Mes amis et moi, nous transformons notre courette en une véritable bourg . Ma mère priait de temps en temps pour nous: « Mungu namudumisheni amu zidishiyeni ma’anrifa ata mufagne n’trongo maori dezizo » qui se traduit littéralement : « Qu’Allah vous garde, vous accorde la sagesse afin que vous parveniez à réaliser vos rêves in sha Allah ! ». Après cette invocation, ma mère m’appellait avec un air aussi injonctif que maternel en disant : « débarrasse-moi tout ce bazar, et va  jeter tous ces matsaha (ordures) dans la vallée !! ». Une vallée qui se trouve à côté de notre habitation en tôle.

Plus tard, quand la puberté nous passa le bonjour, nous construisîmes nos banguas (cases de jeune homme).  Nous les entourions d’une petite clôture pour préserver l’intimité des intrigues avec les wana ma bweni (les jeunes filles en langue locale). C’est pendant cette période que naquît une relation amoureuse louche. Celle-ci va profondément changer ma vie scolaire. Tout a commencé quand nous étions au collège. Dès qu’on a commencé  à pratiquer le handball. On a formé une équipe mixte, composés de jeunes filles d’un village limitrophe appelé Shandra et de gars de mon village natal. Deux localités rivales depuis la nuit des temps à cause d’un bras de terre séparant les deux villages . La Palestine et Israël à la chez nous, quoi !  Malheureusement notre équipe n’a jamais remporté de victoires. Elle collectionnait les défaites comme  les Comores collectionnent les coup d’ État réussis ou avortés .

Alors on a établi certaines règles pour le bien être de l’équipe. Mais à  chaque entrainement, on était les souffre-douleurs  de joueurs de football très conservateurs. On aurait dit des boites de conserves ambulantes. « tsawo makashia », les voilà les pouffes, répétaient-ils . Des propos acerbes sortant des bouches de certains de ces jeunes enragés de voir des jeunes filles(mignonnes comme la lune, aussi charnues comme une mangue )  jouer avec nous. Au bout d’un mois, une vague de jeunes garçons et filles vint nous rejoindre. Une autre équipe se forma. Ainsi les tensions montèrent peu à peu. Il a fallu juste une étincelle et une bataille s’est éclatée opposant les deux bourgs. Cette satanée bataille a mis fin aux entrainements.

Mais bien avant cette bataille, un amour « impossible » avait vu le jour.  J’étais amoureux d’une fille de l’autre côté de « l’atlantique ». J’ai dit atlantique , mais pas Atlantide . A l’époque je ne connaissais pas encore Platon , encore moins son imagination fertile , aussi fertile que la vague sophiste qui a emportée Socrate au-delà de l’au-delà . Excusez du peu , si mes rimes sont hyper-sophistiquées. En fait,  revenons à nos moutons, malgré les menaces, on continuait à se rencontrer, la fille interdite et moi. Malheureusement cela n’a pas duré. Un bon jour, le père de la fille l’avait surprise avec les lettres qu’on s’envoyait. Sans la moindre hésitation, il a fait éruption chez nous et réclama 3 millions de fca. Le voyou ! Se croyait-il à la Banque de France ? Ari me demander de l’argent , juste parce que j’envoyais des lettres d’amour à sa fille. L’affaire a fait grand bruit au village. Partout à Tsembehou on ne parlait que de moi. De mes lettres d’amour (qui valent 3 millions de nos francs) . Pauvre de moi j’étais devenu la risée du village. La honte s’empara de ma famille. Puisque pour débourser l’argent , elle a été obligée de vendre une de nos maigres terrains.  J’étais à trois doigts d’y rester. Vu les tensions, il n’était pas possible de joindre les deux bouts. C’était le grand walou (néant) pour moi. Après un an de négociation, l’affaire est tombé dans l’oubli. Mais les sentiments restaient toujours dans nos cœurs amoureux . Et peu après, nos chemins se sont séparés et chacun a refait sa vie.

De mon balcon, le Caire est en train de s’embraser. Les pro-Morsi d’un côté , les anti de l’autre. Un mur invisible pareil à celui qui me séparait , adolescent , de ma bien-aimée divise ce peuple aveuglé par la rage de la déception. Tout ici me rappelle ma bien-aimée . Si seulement ces Égyptiens savaient que dans le conflit il n’y a jamais de gagnant : il n’y a que des perdants. Les perdants de l’amour.

 Naoumane

* Ari signifie « paraît-il que »

 

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Commentaires

Jean-Guy
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Wow! Mon ami honnêtement, les mots me manquent, cependant c'est là que je devrais sortir tout ce qui est congratulant afin de montrer ma fierté pour un jeune tel que toi; cher Naoumane. Je te souhaite de voler aussi haut que tu peux et aussi haut que la stratosphère. Rappelles-toi de cet époque où on allait à l'école coranique; qui aurait pensé d'un tel avenir? En tout cas accroches-toi bien pour ne pas lâcher prise en plein vol parce que le chemin est encore long. Quoiqu'il en soit et quoiqu'il arrive? je te dis BRAVO! Franchement chapeau!!!!!!!!!!!
Jean-Guy

naoumane
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Heureux de recevoir un commentaire si émouvant de la part d'un vieil ami comme toi Jean-Gay.Pour moi c'est plutôt du retrouvaille et non
un commentaire. Je me souviens parfaitement de ces beaux souvenirs. Merci de ton appréciation, j'ai besoin de vos ovations pour aller un peu plus loin.